Pour la ministre de l’écologie les discussions sur le climat qui reprennent à Bonn, lundi 1er juin, ne pourront progresser sans une réforme profonde de la mécanique multilatérale.
Ministra francesa de Ecología, Ségolene Royal
Fuente: Diario Le Monde /1 junio 2015
Entrevista realizada por: Roger Simon
@politicoroger
Les négociations de la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques reprennent lundi 1er juin à Bonn. Sont-elles à la hauteur du défi à relever ?
Ségolène Royal : Les négociations de l’ONU sont totalement inadaptées à l’urgence climatique. En privé, tout le monde le dit, tout le monde en est parfaitement conscient, mais la lourdeur du processus est telle qu’il se poursuit comme si de rien n’était. J’ai participé au sommet de la Terre de Rio, au Brésil, en 1992. J’ai l’impression que l’on remet chaque fois à l’année suivante les décisions à prendre. Pourtant, lorsqu’il y a une urgence dans une entreprise, on se met à négocier sans attendre un rendez-vous institutionnel un an plus tard ! Ce décalage entre la procédure onusienne et l’urgence climatique commence à poser un réel problème et à exaspérer les pays les plus fortement victimes du dérèglement climatique.
Vous en êtes-vous entretenue avec le secrétaire général des Nations unies Ban Ki-moon ?
Oui. Lors de mon entretien avec lui pendant la réunion des agences de l’ONU à Paris, je lui ai fait part de cet écart angoissant qui existe entre la lourdeur de la procédure et l’urgence climatique. Il en a convenu avec moi. Je lui ai demandé combien le texte de négociation devrait compter de pages pour parvenir à un bon accord à Paris. Il m’a répondu très clairement : un bon accord, c’est 20 pages, pas plus. On en est loin. Pour le moment, le document fait plus de 80 pages.
Pourquoi les négociateurs ne parviennent-ils pas à progresser plus rapidement ?
Parce qu’ils n’ont pas de mandat. J’observe une espèce de professionnalisation des négociateurs de l’ONU. A Copenhague en 2009, les chefs d’Etat étaient venus à la fin de la COP et les négociateurs professionnels avaient attribué l’échec du sommet aux chefs d’Etat qui n’auraient pas dû venir, comme si c’était leur chose, alors que les chefs d’Etat sont intervenus trop tard, précisément. C’est bien leur engagement politique qui doit changer la donne.
Dans ces conditions, n’est-il pas temps d’arrêter la machine onusienne sur le climat et de privilégier d’autres cadres ?
Il ne faut pas stopper les négociations onusiennes, mais il faut que Bonn obéisse à des instructions politiques des chefs d’Etat et de gouvernement. Sinon, les négociateurs, qui sont là depuis 15, voire 20 ans, vont continuer leur folklore. Vous retrouvez des centaines de personnes devant leur ordinateur, en train de discuter un point du texte entre crochets ou de jouer aux mots croisés ! Il faut changer de méthode : mettre sur la table un document rassemblant les engagements des pays les plus en avance, comme ceux de l’Union européenne, et demander aux Etats qui ne sont pas d’accord de s’exprimer. Cela changerait les choses parce que les pays ne voudront pas apparaître comme ceux qui ont fait échouer le sommet de Paris.
L’Union européenne peut-elle jouer un rôle dans cette réforme du multilatéralisme ?
L’Union européenne (UE) estime avoir fait sa part du travail en s’étant mise d’accord à 28 sur des objectifs de réduction de ses émissions de gaz à effet de serre. Mais ce n’est pas le cas. La position que je défends au sein du conseil de l’UE, c’est que l’on soit davantage dans l’action. Je pars faire une tournée africaine avec le commissaire européen chargé de l’énergie. L’Afrique est aujourd’hui le continent le plus en retrait dans les négociations sur le climat car elle en a assez des grands discours. Elle attend des actes, notamment un accord sur le volet financier. Il est temps que les pays riches s’engagent. A Lima [lors de la COP 20, en décembre 2014], c’est la question du financement qui a fait blocage à un accord.
Ne risquez-vous pas de fragiliser l’action de Laurent Fabius en donnant un coup de pied dans la fourmilière onusienne ?
Je pense au contraire l’aider beaucoup parce qu’à Bonn, du coup, des choses vont peut-être changer. A un moment, il faut prendre ses responsabilités. C’est plus facile pour moi de le dire que pour lui, qui est ministre des affaires étrangères et qui aura la charge de présider le sommet de Paris en décembre. Ma liberté de parole est utile, et puis, je suis ministre de l’environnement, ministre du climat ! C’est moi qui siège au nom de la France. Nous n’avons pas le même rôle.
Peut-on encore espérer un accord à Paris permettant de contenir à 2° C le réchauffement de la planète ?
Oui, à condition de ne pas tenir un discours défaitiste. Le ressort psychologique, c’est d’imposer notre optimisme et notre volonté d’avancer à des pays qui, en restant en rade, passeront pour ceux qui n’auront pas répondu à l’urgence climatique. Il faut, comme dans le lancement d’une campagne électorale, se dire qu’on va gagner. Si l’on dit que ça va être très difficile, on est sûr de perdre ! Dans ce combat, il existe un fait nouveau, le basculement du monde des affaires et de la finance. Les ONG s’inquiètent du risque de « greenwashing », mais mieux vaut voir les entreprises s’intéresser aux marchés de la croissance verte que les laisser se réfugier dans l’inertie. Le mouvement de la société est crucial pour accompagner l’accord. L’un se nourrit de l’autre. Aujourd’hui, tout cela est trop cloisonné.